Jeunesse
Cycle 3
Histoire jeunesse d'aventure
6 min
Pitifeu
Justine Roux
Pitifeu avançait d'un pas lourd. Il venait encore de se disputer avec son père : Flamnéral était un grand dragon rubis âgé de 625 ans et il ne supportait pas que son dernier fils n'ait pas d'emploi.
— Prends exemple sur tes frères ! Grognfor travaille à la forge depuis ses 193 ans. Quand Kaskardent s'est enrôlé dans la garde royale, il avait à peine 181 ans. Même Brûlte a trouvé un travail à la mine avant ses 207 ans ! Et toi, à 212 ans, tu es toujours là !
Pitifeu aurait aimé rendre son père fier de lui, mais il n'était pas comme ses frères. Il n'était pas grand et musclé, et ses flammes étaient tout juste suffisantes pour allumer un feu de bois. Chaque fois qu'il avait postulé quelque part, un dragon plus fort avait eu le travail.
Quand il passa devant la forge, Grognfor l'interpella.
— T'en fais une tête ! Tu t'es encore disputé avec P'pa ? Peu importe, j'ai une bonne nouvelle. Je t'ai inscrit.
Pitifeu attrapa la feuille jaunie que lui tendait son frère, sur laquelle était écrit en lettres d'or :
« Oyez, oyez dragons et dragonnes !
Le roi recherche un dragon pour défendre son trésor. Afin de choisir le plus fort d'entre vous, une grande compétition sportive est organisée. À l'issue de cette dernière, le dragon ayant le meilleur score aura l'immense honneur de devenir le gardien du trésor royal.
Si vous avez plus de 180 ans, inscrivez-vous auprès de l'intendant du palais. »
Grognfor l'avait inscrit à une compétition sportive. Organisée par le roi en personne, qui plus est. Et c'était censé être une bonne nouvelle...
— Grognfor, je ne peux pas y aller. Je vais me ridiculiser. Qu'est-ce que j'irais faire dans une compétition sportive ?
— Je t'entraînerai ! Et puis imagine comme P'pa serait heureux si tu gagnais !
— Mais jamais je ne gagnerai !
Il n'y a qu'un moyen de le savoir...
Ils avaient un mois pour préparer Pitifeu aux épreuves de la compétition : le vol acrobatique avec un bloc de pierre, le camouflage, le crachat de feu sur cibles mouvantes, et enfin, le combat contre chevaliers. Contrairement à son frère, Pitifeu était loin d'être optimiste. Ils commencèrent par le camouflage puisque c'était la seule épreuve qu'il se sentait capable d'aborder. En effet, il avait hérité des écailles gris foncé de sa mère, ce qui le faisait ressembler à un gros rocher.
Pour les autres épreuves, Grognfor fit appel aux compétences de Brûlte et Kaskardent afin de préparer au mieux Pitifeu. Brûlte pour la musculation et l'endurance, Kaskardent pour les techniques de combat ; lui-même se chargerait du crachat de feu.
Avec un entraînement aussi prenant et des professeurs aussi exigeants, Pitifeu ne vit pas le temps passer et un matin, sans prévenir, le soleil se leva sur le premier jour de la compétition.
Une foule bigarrée se pressait sur le pont-levis pour entrer dans l'immense arène du château. Des gradins de bois se dressaient tout autour, installés pour l'occasion.
Cinq gros rochers étaient disposés en cercle au centre de l'arène. Pitifeu ne prêta aucune attention aux acclamations de la foule et se dirigea droit vers eux. Quatre autres dragons firent de même. Pitifeu n'osa pas croiser leur regard, il se concentra sur son bloc et se remémora sa chorégraphie. Il fallait qu'il garde son rocher en l'air plus de trois minutes en réalisant un maximum de figures pour marquer des points. Un coup de gong annonça le début de l'épreuve. Tous les dragons décollèrent en même temps, sauf Pitifeu.
Il grimpa sur son rocher, enfonça ses griffes dans les aspérités de la roche et battit des ailes. Peu à peu, il s'éleva. Pendant ce temps les autres dragons avaient piqué pour récupérer leur bloc aidés par leur élan. Pitifeu, quant à lui, continuait de monter. Lorsqu'il se trouva à environ six mètres du sol, il lâcha son rocher. Il vola encore jusqu'à dix mètres et se laissa tomber en piqué à la suite de l'énorme pierre. Il la dépassa, vrilla sur lui-même et la récupéra sur son dos. Le choc lui coupa le souffle et faillit le déséquilibrer. Il plana quelques instants puis, mobilisant ses dernières forces, fit un looping. Le rocher retomba juste à son point de départ et Pitifeu se posa juste derrière. Un nouveau coup de gong annonça la fin de la première épreuve.
Un immense tableau noir avait été installé pour inscrire les scores. Pour chaque épreuve, le premier gagnait 50 points, le deuxième 40 et ainsi de suite. Quand Pitifeu leva la tête vers le tableau, il n'en crut pas ses yeux. Missia, une femelle taupe qui n'avait pas réussi à soulever son rocher, était dernière avec 10 points. Feurlet, un dragon aux écailles bleu électrique, la suivait avec 20 points. Foudre, une autre femelle d'un éblouissant doré, était troisième avec 30 points, tandis que Tréroce, un grand mâle vert sapin, remportait l'épreuve avec 50 points. Pitifeu était donc deuxième et gagnait 40 points. Incroyable !
Pour la suite, un pan de l'arène avait été démonté, si bien que cette dernière était maintenant ouverte sur la forêt. L'épreuve du camouflage était simple : les dragons avaient une minute pour se fondre dans le paysage. Les premiers à être vus perdaient. Les cinq concurrents s'alignèrent à l'orée de la forêt, et, au coup de gong, s'élancèrent entre les arbres.
Missia, qui grâce à sa robe terne s'était confondue avec la terre, arriva deuxième. Tréroce qui s'était fondu dans le feuillage des arbres, finit troisième. Foudre avec ses écailles dorées fut l'avant dernière, devant Feurlet et son éblouissante cuirasse bleue. Pitifeu, transformé en rocher, gagna l'épreuve. Il était à présent en tête de la compétition avec 90 points ! Il n'arrivait pas à y croire.
Seulement sa joie retomba vite. Les deux dernières épreuves à venir étaient celles qu'il redoutait le plus.
À trente mètres des cinq dragons, des cibles étaient montées sur des rails.
Feurlet passa le premier et toucha sept cibles sur dix. Tréroce en brûla neuf, Missia cinq. Foudre les brûla toutes d'un seul coup. C'était au tour de Pitifeu. Le coup de gong le fit sursauter. Il gonfla sa poitrine au maximum, sentit sa poche à feu se remplir et crachat le plus fort qu'il put. Il ne toucha aucune cible.
Toutefois, il n'eut pas le temps de se morfondre car il fallait déjà se préparer à la dernière épreuve, le combat.
Pitifeu était le deuxième à passer. Trois chevaliers en armure l'attendaient sur le sable. Au coup de gong, le premier muni d'un fléau et d'un bouclier, se jeta sur lui. Pitifeu se ramassa sur lui-même et bondit au-dessus de son adversaire, sans que le fléau ne l'effleure. Il atterrit juste à côté du deuxième chevalier qui pointait sur lui une lance hérissée de pointes. Il le faucha d'un coup de patte, tout en balayant le premier avec sa queue. Voyant ses deux équipiers à terre, le troisième, armé de deux longues épées, recula lentement. Il cherchait à gagner du temps pour permettre aux autres de se relever. Pitifeu ne s'y laissa pas prendre et au lieu de l'attaquer directement, il assomma une fois pour toutes les deux autres. Seul avec ses deux épées, le dernier chevalier fonça sur Pitifeu. Comme Kaskardent le lui avait appris, il souffla un épais panache de fumée avec ses naseaux pour aveugler son adversaire avant de lui arracher les épées d'un vif mouvement de griffes et le mettre hors de combat.
Le roi se tenait droit sur l'estrade quand il s'adressa à la foule pour clôturer la compétition.
« À l'issue de cette compétition sportive historique nous avons un heureux vainqueur ! Je tiens à tous vous féliciter pour le magnifique spectacle que vous nous avez offert. Sans plus tarder, le nom du nouveau gardien de mon trésor royal : Tréroce ! Toutes mes félicitations ! »
La foule applaudit gaiement mais le roi reprit, faisant taire les vivats.
« Toutefois, mes chers amis, il n'a pas été le seul à nous impressionner ! Un autre concurrent s'est démarqué par son originalité et surtout par sa vigueur au combat. Ainsi, j'ai décidé de récompenser également le deuxième de cette compétition. Voyez-vous, ma fille, la princesse Iloa, a besoin d'un vaillant protecteur. Je désigne donc Pitifeu, garde du corps officiel de la princesse Iloa ! Bravo à lui ! »
Pitifeu s'étrangla à cette annonce. Grognfor à ses côtés lui donna une forte claque dans le dos pour le féliciter. Kaskardent et Brûlte crachèrent des flammes dans le ciel pour clamer leur joie. La foule les acclamait, lui et Tréroce, et parmi tous ces gens, Pitifeu aperçut un grand dragon rubis. Flamnéral le regardait et dans ses yeux brillait une lueur de fierté.
— Prends exemple sur tes frères ! Grognfor travaille à la forge depuis ses 193 ans. Quand Kaskardent s'est enrôlé dans la garde royale, il avait à peine 181 ans. Même Brûlte a trouvé un travail à la mine avant ses 207 ans ! Et toi, à 212 ans, tu es toujours là !
Pitifeu aurait aimé rendre son père fier de lui, mais il n'était pas comme ses frères. Il n'était pas grand et musclé, et ses flammes étaient tout juste suffisantes pour allumer un feu de bois. Chaque fois qu'il avait postulé quelque part, un dragon plus fort avait eu le travail.
Quand il passa devant la forge, Grognfor l'interpella.
— T'en fais une tête ! Tu t'es encore disputé avec P'pa ? Peu importe, j'ai une bonne nouvelle. Je t'ai inscrit.
Pitifeu attrapa la feuille jaunie que lui tendait son frère, sur laquelle était écrit en lettres d'or :
« Oyez, oyez dragons et dragonnes !
Le roi recherche un dragon pour défendre son trésor. Afin de choisir le plus fort d'entre vous, une grande compétition sportive est organisée. À l'issue de cette dernière, le dragon ayant le meilleur score aura l'immense honneur de devenir le gardien du trésor royal.
Si vous avez plus de 180 ans, inscrivez-vous auprès de l'intendant du palais. »
Grognfor l'avait inscrit à une compétition sportive. Organisée par le roi en personne, qui plus est. Et c'était censé être une bonne nouvelle...
— Grognfor, je ne peux pas y aller. Je vais me ridiculiser. Qu'est-ce que j'irais faire dans une compétition sportive ?
— Je t'entraînerai ! Et puis imagine comme P'pa serait heureux si tu gagnais !
— Mais jamais je ne gagnerai !
Il n'y a qu'un moyen de le savoir...
Ils avaient un mois pour préparer Pitifeu aux épreuves de la compétition : le vol acrobatique avec un bloc de pierre, le camouflage, le crachat de feu sur cibles mouvantes, et enfin, le combat contre chevaliers. Contrairement à son frère, Pitifeu était loin d'être optimiste. Ils commencèrent par le camouflage puisque c'était la seule épreuve qu'il se sentait capable d'aborder. En effet, il avait hérité des écailles gris foncé de sa mère, ce qui le faisait ressembler à un gros rocher.
Pour les autres épreuves, Grognfor fit appel aux compétences de Brûlte et Kaskardent afin de préparer au mieux Pitifeu. Brûlte pour la musculation et l'endurance, Kaskardent pour les techniques de combat ; lui-même se chargerait du crachat de feu.
Avec un entraînement aussi prenant et des professeurs aussi exigeants, Pitifeu ne vit pas le temps passer et un matin, sans prévenir, le soleil se leva sur le premier jour de la compétition.
Une foule bigarrée se pressait sur le pont-levis pour entrer dans l'immense arène du château. Des gradins de bois se dressaient tout autour, installés pour l'occasion.
Cinq gros rochers étaient disposés en cercle au centre de l'arène. Pitifeu ne prêta aucune attention aux acclamations de la foule et se dirigea droit vers eux. Quatre autres dragons firent de même. Pitifeu n'osa pas croiser leur regard, il se concentra sur son bloc et se remémora sa chorégraphie. Il fallait qu'il garde son rocher en l'air plus de trois minutes en réalisant un maximum de figures pour marquer des points. Un coup de gong annonça le début de l'épreuve. Tous les dragons décollèrent en même temps, sauf Pitifeu.
Il grimpa sur son rocher, enfonça ses griffes dans les aspérités de la roche et battit des ailes. Peu à peu, il s'éleva. Pendant ce temps les autres dragons avaient piqué pour récupérer leur bloc aidés par leur élan. Pitifeu, quant à lui, continuait de monter. Lorsqu'il se trouva à environ six mètres du sol, il lâcha son rocher. Il vola encore jusqu'à dix mètres et se laissa tomber en piqué à la suite de l'énorme pierre. Il la dépassa, vrilla sur lui-même et la récupéra sur son dos. Le choc lui coupa le souffle et faillit le déséquilibrer. Il plana quelques instants puis, mobilisant ses dernières forces, fit un looping. Le rocher retomba juste à son point de départ et Pitifeu se posa juste derrière. Un nouveau coup de gong annonça la fin de la première épreuve.
Un immense tableau noir avait été installé pour inscrire les scores. Pour chaque épreuve, le premier gagnait 50 points, le deuxième 40 et ainsi de suite. Quand Pitifeu leva la tête vers le tableau, il n'en crut pas ses yeux. Missia, une femelle taupe qui n'avait pas réussi à soulever son rocher, était dernière avec 10 points. Feurlet, un dragon aux écailles bleu électrique, la suivait avec 20 points. Foudre, une autre femelle d'un éblouissant doré, était troisième avec 30 points, tandis que Tréroce, un grand mâle vert sapin, remportait l'épreuve avec 50 points. Pitifeu était donc deuxième et gagnait 40 points. Incroyable !
Pour la suite, un pan de l'arène avait été démonté, si bien que cette dernière était maintenant ouverte sur la forêt. L'épreuve du camouflage était simple : les dragons avaient une minute pour se fondre dans le paysage. Les premiers à être vus perdaient. Les cinq concurrents s'alignèrent à l'orée de la forêt, et, au coup de gong, s'élancèrent entre les arbres.
Missia, qui grâce à sa robe terne s'était confondue avec la terre, arriva deuxième. Tréroce qui s'était fondu dans le feuillage des arbres, finit troisième. Foudre avec ses écailles dorées fut l'avant dernière, devant Feurlet et son éblouissante cuirasse bleue. Pitifeu, transformé en rocher, gagna l'épreuve. Il était à présent en tête de la compétition avec 90 points ! Il n'arrivait pas à y croire.
Seulement sa joie retomba vite. Les deux dernières épreuves à venir étaient celles qu'il redoutait le plus.
À trente mètres des cinq dragons, des cibles étaient montées sur des rails.
Feurlet passa le premier et toucha sept cibles sur dix. Tréroce en brûla neuf, Missia cinq. Foudre les brûla toutes d'un seul coup. C'était au tour de Pitifeu. Le coup de gong le fit sursauter. Il gonfla sa poitrine au maximum, sentit sa poche à feu se remplir et crachat le plus fort qu'il put. Il ne toucha aucune cible.
Toutefois, il n'eut pas le temps de se morfondre car il fallait déjà se préparer à la dernière épreuve, le combat.
Pitifeu était le deuxième à passer. Trois chevaliers en armure l'attendaient sur le sable. Au coup de gong, le premier muni d'un fléau et d'un bouclier, se jeta sur lui. Pitifeu se ramassa sur lui-même et bondit au-dessus de son adversaire, sans que le fléau ne l'effleure. Il atterrit juste à côté du deuxième chevalier qui pointait sur lui une lance hérissée de pointes. Il le faucha d'un coup de patte, tout en balayant le premier avec sa queue. Voyant ses deux équipiers à terre, le troisième, armé de deux longues épées, recula lentement. Il cherchait à gagner du temps pour permettre aux autres de se relever. Pitifeu ne s'y laissa pas prendre et au lieu de l'attaquer directement, il assomma une fois pour toutes les deux autres. Seul avec ses deux épées, le dernier chevalier fonça sur Pitifeu. Comme Kaskardent le lui avait appris, il souffla un épais panache de fumée avec ses naseaux pour aveugler son adversaire avant de lui arracher les épées d'un vif mouvement de griffes et le mettre hors de combat.
Le roi se tenait droit sur l'estrade quand il s'adressa à la foule pour clôturer la compétition.
« À l'issue de cette compétition sportive historique nous avons un heureux vainqueur ! Je tiens à tous vous féliciter pour le magnifique spectacle que vous nous avez offert. Sans plus tarder, le nom du nouveau gardien de mon trésor royal : Tréroce ! Toutes mes félicitations ! »
La foule applaudit gaiement mais le roi reprit, faisant taire les vivats.
« Toutefois, mes chers amis, il n'a pas été le seul à nous impressionner ! Un autre concurrent s'est démarqué par son originalité et surtout par sa vigueur au combat. Ainsi, j'ai décidé de récompenser également le deuxième de cette compétition. Voyez-vous, ma fille, la princesse Iloa, a besoin d'un vaillant protecteur. Je désigne donc Pitifeu, garde du corps officiel de la princesse Iloa ! Bravo à lui ! »
Pitifeu s'étrangla à cette annonce. Grognfor à ses côtés lui donna une forte claque dans le dos pour le féliciter. Kaskardent et Brûlte crachèrent des flammes dans le ciel pour clamer leur joie. La foule les acclamait, lui et Tréroce, et parmi tous ces gens, Pitifeu aperçut un grand dragon rubis. Flamnéral le regardait et dans ses yeux brillait une lueur de fierté.
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Illustration : Pablo Vasquez
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